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Lettre ouverte contre les conditions de détention des animaux dans les cirques

Dans un courrier à la maire de Paris Anne Hidalgo, dix éthologues, philosophes et scientifiques dénoncent les méthodes de dressage et de captivité dans les cirques.


Lettre ouverte contre les conditions de détention des animaux dans les cirques

Madame la maire,

Nous vivons, pour nombre d’entre nous, sans doute dans l’une des plus merveilleuses villes au monde. Et pourtant, ceux qui d’année en année autorisent, notamment sur la pelouse de Reuilly, l’installation de cirques itinérants détenant des animaux, la défigurent.

Puisque le monde politique attend souvent l’expertise scientifique pour agir, rappelons que la communauté scientifique internationale reconnaît de façon unanime que les animaux sont doués de sensibilité (ce que le code civil a enfin entériné), qu’ils ressentent la souffrance, ont des émotions (peur, surprise, joie…), toutes dispositions qui impliquent une vie de conscience, ainsi que la déclaration de Cambridge signée en 2012 par d’éminents scientifiques le pose clairement.

Dans les cirques, les animaux sont détenus en captivité, dressés de façon violente, comme l’attestent d’ailleurs les témoignages de dresseurs repentis, pour les forcer à exécuter des actes éthologiquement aberrants ou douloureux. De nombreux spécialistes du comportement ont observé ces animaux. Leur constat est sans appel : les animaux se réfugient dans la folie pour échapper à leur quotidien d’esclave.

En effet, les stéréotypies (un même mouvement répété inlassablement), uniquement observées en situation de captivité, sont des marqueurs forts d’une très grande souffrance psychique chronique. Qui n’a jamais vu des éléphants dans leur petit enclos se balancer de droite à gauche continuellement ? Qui n’a pas observé des fauves en cage tourner en rond sans cesse ? Les animaux dans les cirques présentent indéniablement des troubles du comportement.

Citons le poème La Panthère, de Rilke, qui, observant l’animal captif au Jardin des Plantes à Paris, écrit : « Son regard du retour éternel des barreaux s’est tellement lassé qu’il ne saisit plus rien. Il ne lui semble voir que barreaux par milliers et derrière mille barreaux, plus de monde. »

Une absence totale de liberté, dans un environnement artificiel, plonge les animaux dans un ennui profond, une violence physique et psychique. Dans un recueil de textes sur la captivité, Colette évoque avec force la condition des fauves prisonniers que nous n’avons su que « désespérer », les animaux de cirque dont la « résignation lui était devenue intolérable ».

Ce ne sont évidemment pas les arts du cirque qui sont visés ; ils constituent un art à part entière et ont toute leur place dans la ville. Leur variété manifeste la créativité et le dynamisme du cirque : jongleur, clown, magicien, contorsionniste, funambule, lanceur de couteaux, voltigeur, trapéziste, danseur… Ce dont nous faisons le procès, c’est la présence d’animaux dans les cirques qui est incompatible avec leur qualité d’êtres sensibles.

Par ailleurs, en autorisant ce type de cirque à Paris, quel message envoyez-vous aux enfants, madame la maire ? Force et soumission sont les bases du fonctionnement des cirques avec les animaux, bien loin des valeurs de notre société. Les enfants accepteraient-ils d’aller voir les animaux dans les cirques s’ils savaient ce qui se passe derrière le rideau ? Ce jeu de dupes doit cesser.

Nos voisins européens — Finlande, Belgique, Autriche, Grande-Bretagne, Danemark … — montrent l’exemple en légiférant pour l’interdiction de la présence (totale ou partielle) d’animaux dans les cirques pour des raisons de bien-être animal. Tout récemment, la Catalogne espagnole a voté l’interdiction des animaux sauvages dans les cirques dans toute la région. La liste des villes françaises refusant les cirques avec animaux sur leur territoire s’allonge de mois en mois. Parmi elles, citons Bagnolet, Truchtersheim, Ajaccio, Roncq, Vourles, Oncourt, Montreuil, et dernièrement Chartres. Voilà pour les compagnies de cirques avec animaux une chance d’évoluer et d’innover !


Paris, ville avant-gardiste à bien des égards, doit étendre sa compassion aux animaux et ne pas rester sourde à l’évolution des mentalités. Nous aimons notre ville, nous aimons y vivre, nous aimons y travailler, nous aimons son dynamisme culturel, mais la présence d’animaux dans les cirques à Paris entache sa beauté. Jacques Boutault, maire du 2e arrondissement de Paris, va d’ailleurs dans ce sens ; « Paris, a-t-il déclaré, s’honorerait de ne plus accueillir de cirques avec animaux sur son territoire. »
Madame la maire, nous vous appelons à ne plus rester sourde à la voix des Parisiennes et Parisiens qui, de plus en plus conscients de la condition réservée aux animaux, refusent leur captivité, les privations et les mutilations dont ils sont les victimes. Leur asservissement est cruel, indigne et désastreux d’un point de vue pédagogique. Il se nourrit des plus vils instincts. Vous accompagneriez un mouvement mondial de prise en considération de la sensibilité et de la dignité animales, que les législations reconnaissent peu à peu.
Nous vous demandons de refuser la présence de cirques détenant des animaux, pour que Paris ne devienne pas une ville figée dans des certitudes d’un autre siècle.

Dalila Bovet, éthologue, maître de conférences, Université Paris Ouest Nanterre la Défense.
Florence Burgat, philosophe, directrice de recherche, Institut national de la recherche agronomique.
Astrid Guillaume, sémioticienne, maître de conférences, Université Paris Sorbonne.
Jean-Pierre Marguénaud, professeur agrégé de droit privé et directeur de la Revue semestrielle de droit animalier, Université de Limoges.
Vincent Message, écrivain, maître de conférences en littérature, Université Paris VIII Saint-Denis.
Joël Minet, biologiste, professeur, Muséum national d’histoire naturelle de Paris.
Corine Pelluchon, philosophe, professeure, Université Franche-Comté.
Philippe Reigné, professeur agrégé de droit privé, Conservatoire national des arts et métiers.
Matthieu Ricard, biologiste, fondateur de Karuna-Shechen.
Pierre Jouventin, éthologue, directeur de recherche au Centre national de la Recherche Scientifique (retraité).
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/08/23/non-aux-cirques-detenant-des-animaux_4986843_3232.html#Cv1GHbRUcCBqTvBg.99



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